Discret mais spectaculaire, le lac bleu de Guizengeard intrigue autant qu’il fascine. Situé au sud de la Charente, ce site remarquable est l’exemple parfait d’un paysage transformé par l’activité humaine, puis reconquis par la nature. Entre forêts de pins, falaises d’argile et eaux d’un bleu presque irréel, ce lieu séduit randonneurs, photographes et curieux en quête d’émerveillement. Mais derrière la beauté brute de cet endroit se cache une histoire industrielle, écologique et géologique méconnue du grand public.
Un ancien site d’extraction devenu paradis sauvage
Une carrière de kaolin à ciel ouvert
De 1975 à 2013, la commune de Guizengeard a accueilli une importante exploitation industrielle d’argile blanche, appelée kaolin. Cette matière première, utilisée dans la fabrication de porcelaine, de tuiles et même de produits cosmétiques, a été extraite ici par dizaines de milliers de tonnes. L’exploitation a creusé profondément dans le sol – parfois jusqu’à 40 mètres – créant des cavités gigantesques dans le sous-sol charentais. Ce sont ces anciennes carrières, abandonnées à la fin de l’activité, qui se sont lentement remplies d’eau de pluie pour former ce qui est aujourd’hui connu sous le nom de lac bleu de Guizengeard.
Un écosystème encore en devenir
À première vue, le lac pourrait passer pour une merveille naturelle, pourtant il s’agit bien d’un plan d’eau artificiel. Sa particularité réside dans la pureté et la couleur de son eau. Sans algues ni poissons, sans matières en suspension, la lumière y pénètre directement, créant des reflets variant du turquoise au bleu azur. L’acidité du sol, l’absence de matières organiques et la composition minérale du kaolin interdisent tout développement aquatique. C’est cette stérilité qui confère à ce lieu son aspect unique et irréel, mais aussi sa fragilité.
Une randonnée accessible et immersive dans la forêt saintongeaise
Un sentier balisé entre pins et falaises
Le site du lac bleu de Guizengeard est accessible via un itinéraire de randonnée de 3 kilomètres, balisé et praticable par tous les niveaux de marcheurs. Le départ se situe à proximité du hameau « Chez Thomas », non loin de la petite église de Guizengeard. Deux sentiers principaux permettent d’explorer les environs : le circuit du Grand Bois du Marais et le circuit des Guêpiers. Ces boucles serpentent à travers une forêt dense de pins maritimes, avant de déboucher sur les panoramas exceptionnels du lac et de ses falaises dorées, vestiges géologiques de l’exploitation passée.
Un paysage changeant selon la lumière
Le spectacle est saisissant. Selon l’ensoleillement, l’heure de la journée et l’angle d’observation, les couleurs du lac varient et prennent des teintes surréalistes. Les falaises environnantes, hautes parfois de plus de 30 mètres, accentuent le contraste visuel. Une portion seulement de ces falaises est visible en surface, le reste étant immergé dans des eaux profondes aux reflets caribéens. Ce paysage mouvant et photogénique attire les amateurs de nature autant que les passionnés de photographie, mais requiert une attention constante : l’érosion des falaises et la fragilité des sols rendent le site instable.
Un sanctuaire écologique sous surveillance
Un biotope protégé
Depuis le 4 juin 2021, le lac bleu de Guizengeard est classé par arrêté préfectoral comme zone protégée au titre de la préservation du biotope. Géré par le Conservatoire Régional d’Espaces Naturels de Nouvelle-Aquitaine, le site fait l’objet d’un suivi rigoureux. Plusieurs panneaux pédagogiques jalonnent les sentiers pour informer les visiteurs sur l’histoire géologique du site, la biodiversité émergente et les enjeux de conservation. L’objectif à long terme est la réhabilitation progressive de l’espace en réserve naturelle.
Des règles strictes à respecter
La visite du site est conditionnée par le respect de règles précises, essentielles à sa préservation :
- Interdiction absolue de la baignade en raison de la profondeur et de l’instabilité des sols argileux
- Interdiction de quitter les sentiers balisés pour éviter l’érosion et préserver les zones sensibles
- Chiens obligatoirement tenus en laisse afin de ne pas perturber la faune
- Interdiction de drone, de feu, de camping et de tout bruit excessif
- Obligation de ramasser ses déchets et de ne laisser aucune trace de son passage
Ces mesures visent à garantir un équilibre entre la découverte du site et la protection de son environnement, encore jeune et en construction écologique. La baignade, bien que tentante, y est formellement proscrite : les secours y sont impossibles et les risques, bien réels.
Une faune pionnière en pleine installation
Un observatoire privilégié pour les naturalistes
Malgré l’absence de vie aquatique, la zone périphérique du lac est propice à l’accueil de nombreuses espèces animales. On peut y observer, avec un peu de patience et de discrétion, des espèces protégées telles que le guêpier d’Europe, la genette, ou encore le martin-pêcheur. Les falaises offrent un refuge naturel à plusieurs oiseaux nicheurs, tandis que les zones humides périphériques se couvrent peu à peu de libellules, d’échasses blanches ou de chevreuils. Ce foisonnement discret marque le début d’une reconquête écologique qu’il est capital de ne pas perturber.
Comment accéder au lac bleu de Guizengeard ?
Le lac se situe dans la commune de Guizengeard, à une dizaine de kilomètres au sud de Barbezieux-Saint-Hilaire. Depuis la N10, prendre la sortie D58 vers Oriolles, puis suivre les indications vers Guizengeard. Un parking est disponible à proximité de l’église du village. Le sentier d’accès est fléché sous le nom de « Sentier de découverte de l’argile ». Comptez environ 2 heures pour faire la boucle tranquillement, photos et pauses comprises.
À noter : le site peut être temporairement fermé pour travaux de sécurisation ou raisons écologiques. Il est conseillé de consulter les informations récentes sur le site du Conservatoire régional ou auprès de l’office de tourisme de Haute-Saintonge avant toute visite.
Le lac bleu de Guizengeard est une rareté paysagère en France. À la fois témoin d’une histoire industrielle et promesse d’un futur réensauvagé, il incarne un équilibre précaire entre beauté, mémoire et renouveau écologique. Sa visite, accessible mais exigeante en responsabilité, offre un moment suspendu hors du temps — une parenthèse d’azur au cœur des terres charentaises.
